Aspects philosophiques

La médecine anthroposophique est quasiment inconnue en Belgique, mais connaît par contre une certaine notoriété p.e. aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suisse, en Autriche et en Italie. De manière générale elle est plus appréciée dans les pays du Nord de l’Europe que dans les pays du Sud, principalement parce que les autorités du Nord de l’Europe sont plus enclinés à respecter le principe d’autonomie du patient que les pays du Sud.

La primauté de l’individualité est un des piliers de l’anthroposophie. Cette conception n’accepte pas l’idée selon laquelle l’être humain ne serait qu’un assemblage de protéines ou ne serait qu’un animal comme les autres. L’anthroposophie défend une vision individuelle et spirituelle de l’être humain (1) et une vision moniste spirituelle et réaliste du monde. Moniste dans le sens où la dualité essentielle entre perception et conception (matière-esprit, objet-sujet etc.) est surmontée de telle manière que les relations originelles sont appréhendées. Le mot réaliste est utilisé parce les concepts sont considérés comme ayant une activité concrète dans le monde. Spirituelle car les idées actives dans le monde ont une origine spirituelle (2).

ORIGINE

La conception anthroposophique est apparue avec les travaux du philosophe autrichien Rudolf Steiner (1861-1925). Celui-ci après ses études à l’École technique de Vienne et à l’Université de Rostock décide de développer les bases philosophiques de sa pensée et de ses expériences. Dans son ouvrage “Vérité et Science” (1892), dont un fragment a servi à sa thèse de doctorat en philosophie, il commente la théorie des connaissances de Kant et de Fichte. Un peu plus tard dans son livre intitulé “Philosophie de la liberté“ (1894) il décrit les concepts et les connaissances théoriques nécessaires à la compréhension de la réalité. Cet ouvrage servira de base à ce qui s’appellera par la suite anthroposophie.

Le développement philosophique de Rudolf Steiner fut fortement influencé par ses propres travaux sur Goethe. Steiner, au départ d’un raisonnement philosophique pur, entrevoit d’ailleurs un renouvellement des sciences sur base de la pensée de Goethe. L’ensemble de ses réflexions sera édité dans un livre intitulé “Base d’une théorie Goethéenne de la connaissance”.

La nomination de Rudolf Steiner comme président de la société théosophique allemande (1902-1913) sera accompagnée d’une intensification de son activité de conférencier. Rien qu’à Berlin il donnera plus de 1 000 conférences, sur un total de 6 000. Ses œuvres complètes comptent d’ailleurs 80 000 pages. Les bases de ce qui sera appelé par la suite anthroposophie sont établies dès 1907. Celle-ci se distingue de l'enseignement théosophique par de nombreux points. La période allant de 1907 à 1914, est caractérisée plus par un approfondissement de ses convictions religieuses chrétiennes que par un approfondissement purement philosophique.

À partir de 1912, il entame des cycles de conférences pour répondre aux besoins de professionnels. Ceux-ci s’interrogent en effet sur les possibilités de l’anthroposophie à améliorer qualitativement l’exercice de leur profession. Des coopérations fructueuses s’installent d’abord avec les artistes et par la suite après 1918 avec d’autres professions comme des agriculteurs, des politiciens, des théologiens, des prêtres, des enseignants et des médecins.

Dans le domaine médical sa rencontre avec la doctoresse néerlandaise Ita Wegman fut décisive. Avec elle, il écrivit un opuscule reprenant les concepts médicaux fondamentaux (“Données de base pour un élargissement de l’art de guérir” 1925). Entre-temps un certain nombre de cycles de conférences avaient été donnés à des médecins intéressés par cette nouvelle approche. En 1921 Ita Wegman fonde la première clinique de médecine anthroposophique à Arlesheim, près de Bâle en Suisse.

 

L’anthroposophie et l'hypothèse de limite aux connaissances humaines

L’anthroposophie est une science de l’esprit ce qui signifie qu’outre les lois physico-chimiques, enseignées en tant que paradigme par les sciences, elle étudie et admet l’existence d’un monde physiquement non perceptible, monde possédant de plus une dimension spirituelle. La méthode scientifique n’est pas contestée, mais élargie des possibilités inhérentes à l’esprit humain.

Rudolf Steiner est en tant que philosophe quasi inconnu du monde scientifique. Il est pourtant celui qui a d’une part établi les bases empiriques de la compréhension du processus de connaissance et celui qui a d’autre part décrit le socle philosophique sur lequel Goethe a fondé sa méthode scientifique. Ces deux piliers restent d’importance dans la pratique médicale anthroposophique actuelle.

A. Goethe et la phénoménologie

Johan Wolfgang von Goethe (1749-1832) bien que mondialement connu comme écrivain, poète et politicien, fut aussi un brillant scientifique. Il fut longtemps directeur et professeur à l’Institut anatomique de Jena où il s’investit dans des recherches botaniques, zoologiques, géologiques et météorologiques. Sa renommée scientifique fut acquise par la découverte de l’os intermaxillaire, par ses écrits botaniques (“La métamorphose des plantes”) et par ses travaux sur les couleurs (“Traité sur les couleurs”).

 

Goethe attachait beaucoup d'importance à la perception sensorielle, à la recherche de corrélations dans un tout et à la compréhension artistique d'un phénomène. Tous ces éléments se retrouvent aisément dans sa méthode de travail dont les étapes sont les suivantes:

 

1. La fantaisie sensorielle maîtrisée

L'idéal lors de cette première étape est l'éducation du processus sensoriel, de telle manière que l'image dans la mémoire devienne la réplique fidèle de l'objet perçu.

2. La résignation

Lorsque l'expérimentateur s'investit de la manière décrite ci-dessus dans l’observation d’un objet précis, il constate après un certain temps que les connaissances intellectuelles acquises de cet objet interfèrent avec la perception fidèle de l'objet. Parvenu à cette étape, l'expérimentateur doit pouvoir pour progresser, surmonter l'ensemble de ses préjugés, c'est pourquoi cette phase est appelée phase de résignation. Assumée, elle conduit ultérieurement à une intensification des capacités de perception et de mémorisation.

3. La gestuelle

Lorsque la congruence entre perception et mémorisation est accomplie de manière reproductible, que l’expérimentateur a vécu dans ses expériences de perception et de mémorisation, il atteint la phase désignée par Goethe comme étant la phase gestuelle. C'est ainsi que Goethe a appréhendé le monde extérieur et qu'il a découvert cette gestuelle fondamentale concernant la croissance et les modifications morphologiques du monde végétal, et que l'idée d'une ‘plante primordiale’ à la base du règne végétal s'est finalement imposée. Ce concept de plante originelle ne doit pas être compris comme une structure statique, mais comme un être plastique, dont chaque espèce ne représente qu'une de ses formes possible d'expression.

 

B. Rudolf Steiner

“Une théorie de la connaissance doit être une recherche scientifique qui s'applique à tous les postulats scientifiques non vérifiés, et donc au niveau ultime, au processus de connaissance lui-même”. (Steiner)

Avant de pouvoir appliquer consciemment un savoir, donc avant de pouvoir parvenir à comprendre un sujet d’investigation, il faut tout d’abord saisir comment cette connaissance peut être acquise, ou en tout cas comment, dans le contexte particulier étudié, ce processus de connaissance surgit. La théorie de la connaissance exige donc avant la formulation d'un jugement que le mode de fonctionnement du processus de connaissance soit élucidé. Un jugement est le résultat de l'activité du processus de connaissance lui-même, il se situe donc à la fin de ce processus et non à son début.

Dans la théorie de connaissance steinerienne, l'idée peut apparaître de deux manières différentes. Dans le premier cas, le concept survient par examen d'un objet perceptible aux sens, donc d'un objet présent dans le monde extérieur physique. Le second cas correspond à l'apparition du concept à l'état pur, dans la conscience, sans intervention d'un processus de perception. La connaissance résulte de l'association correcte entre les concepts et la perception. Par association correcte il faut comprendre une liaison présente originellement entre l'objet de perception et le concept.

Aucune autre manière de connaître n'est possible, ce qui implique qu'il n'existe pas de limite aux connaissances. Le mot perception doit être pris au sens général, il englobe la perception au moyen des sens physiques, mais également la perception via des expériences psychiques ou spirituelles.

Après la période de sa vie consacrée à la philosophie et aux problèmes liés aux fondements de la théorie de la connaissance, il s’est attelé au développement de l’anthroposophie. L’ensemble de ses recherches dans le monde suprasensible est décrit dans ses livres et conférences. En particulier il y explique les techniques d'apprentissage en vue de développer sans risque ses propres perceptions des mondes supra sensibles.

Son livre “Comment dépasser la frontière des limites aux connaissances“ décrit un chemin de développement particulièrement approprié aux personnes d’orientation scientifique. Sur les trois voies possibles, qui après des années d’entraînement, peuvent conduire aux perceptions supra sensibles, l’une d’elle consiste à travailler activement les forces de la pensée; ce chemin est donc plus aisé à pratiquer pour les personnes d’orientation intellectuelle. Par un entraînement régulier de la pensée, la personne peut atteindre un niveau lui permettant la perception directe de concepts purs ou d’idées.

La deuxième voie consiste en un renforcement des forces de perception, donc à un apprentissage à la perception correcte. Cette voie est typiquement d'inspiration Goethéenne.

La troisième voie consiste à renforcer les capacités situées entre les forces de la pensée et les forces de perception.

Le premier chemin conduit par intensification de la pensée à faire disparaître la limite de la conscience. La seconde voie consiste à travailler les perceptions de manière différente, ce qui a un certain moment fait disparaître la frontière induite par le monde physique, par le monde perceptible aux sens.

C’est par les disparitions de ces frontières que l’expérimentateur peut visualiser les mondes supra sensibles. Ce phénomène de frontière a été décrit dans le recueil concernant la philosophie de Thomas d’Aquin (1920).

 

Signification pour la médecine anthroposophique

La médecine anthroposophique conçoit l’être humain comme une entité physique, psychique et spirituelle dont la vie est sensée. La biographie d’un individu est un chemin de progression qui peut être modifié par la personne même. Dans un tel contexte l’individu établit une relation avec son corps physique, établit des relations sociales avec ses contemporains, et établit des relations avec la terre et le cosmos. Il est responsable de ses actes dans tous ces domaines, tout comme il est le seul responsable de son approfondissement moral. La liberté spirituelle de l’être humain est totale et n'est soumise à aucun dogme.

Tout ceci implique pour le médecin, à côté d’une formation classique, d’entamer un apprentissage double, d’une part s’entraîner à comprendre sous l’angle phénoménologique l’être humain et la nature et d’autre part s’entraîner à l’approche méditative afin de percevoir le spirituel dans la réalité.

 

L’image de l’homme en anthroposophie

Lorsque l’être humain est compris comme un être spirituel incarné, une réponse au problème de la dichotomie cartésienne entre matière et esprit doit pouvoir être formulée. C’est de cette réponse que dépend le diagnostic, la pathologie et la thérapeutique en médecine anthroposophique. Les deux cadres conceptuels utilisés sont les suivants :

  • Les 4 corps constitutifs de l'homme; ce cadre se rapporte aux relations entre l’esprit et la matière.

 

  • La tripartition de l'organisme humain, se rapporte aux trois manifestations possibles de l’esprit dans la matière.

 

1. Les 4 corps constitutifs

Dans la vision du monde scientifique, l’homme est uniquement un corps physique. Ce corps physique est doué de capacités spirituelles. Ce corps, en particulier l’activité des cellules cérébrales est responsable de la conscience, cette conscience et les capacités spirituelles associées seraient d'origine similaire, voire seraient des concepts identiques. La conception scientifique actuelle dérive partiellement des théories Darwiniennes.

Si les processus physiques sont seuls à  déterminer notre conscience il devient difficile de comprendre la responsabilité de l’être humain dans ses actes. La conception scientifique traditionnelle de l’homme se retrouve donc en conflit dès le départ avec notre expérience personnelle de la conscience et avec notre idéal humaniste.

La vision anthroposophique est celle d’un homme constitué d'un esprit habitant un corps. Le corollaire est de comprendre dans le détail la manière dont cet esprit se manifeste dans ce corps. L’action directe d’un esprit sur de la matière morte est difficile à concevoir, comme par exemple une action directe de l’esprit sur une pierre. Une substance dynamique, comme une structure organique vivante, semble dans ce contexte plus appropriée. Une telle structure se retrouve dans le monde végétal, qui est néanmoins dépourvu d'une conscience de type humaine. Une forme de conscience proche de nous s’est par contre développée dans le monde animal, sans néanmoins atteindre un niveau identique. C'est uniquement chez l’être humain que la substance s’est à ce point transformée qu’elle puisse être utilisée pour exprimer également une conscience du soi.

Les règnes végétaux, animaux et humains témoignent de la manière dont par métamorphose successive la substance peut se vivifier, se sensibiliser et enfin supporter une conscience. Ces trois stades d’évolution, avec le corps physique minéral, sont présents dans l’être humain.

a)     En tant qu’être humain nous possédons un corps minéral soumis aux lois de la nature inanimée, aux lois chimiques et physiques de la pesanteur, de la mécanique etc., ce corps est minutieusement décrit en anatomie.

b)     Un domaine encore peu étudié par les sciences est la nature vivante, donc celle qui n’est pas soumise aux forces présentes exclusivement dans la nature morte. En effet sur base uniquement des milliers de réactions chimiques présentes dans notre corps, nous devrions mourir très rapidement, une vie humaine de longueur normale est une impossibilité absolue.  Habituellement ce problème est éludé en spéculant sur la présence d’un autre système régulateur rendant cette vie possible.  Ceci équivaut à considérer qu’une substance soumise a l’entropie, puisse simultanément acquérir par elle-même une structure plus complexe et manifester  des caractéristiques avancées,  spirituelles par exemple.

L’enseignement anthroposophique décrit un corps de vie invisible, dont l’origine est cosmique. Ce corps ne peut être investigué qu’indirectement, que par son résultat qui est la présence d’une substance vivante.  La plante permet d’étudier ce corps et ses lois avec le plus de facilité. Ces lois sont la possibilité de donner une forme, de modifier ces formes dans le temps, de croître, de se reproduire, d’élaborer de la substance et d’être réceptif aux forces cosmiques. Pour tous ces processus, l’eau est le substrat matériel indispensable, ce qui est une des raisons pour laquelle 60 % de notre corps est constitué d’eau.

c)     Le monde animal se caractérise par une forme de conscience, par la possibilité d’effectuer des déplacements variés, des mouvements libres sur base autonome,  déplacements qui impliquent un choix sur base de la sympathie ou de l’antipathie, du plaisir ou du déplaisir, donc des manifestations d'une conscience. Cette conscience ne peut être une propriété de la substance. Le monde animal doit donc apporter une nouvelle structure qui s’exprime sur le plan de l’évolution dès les formes animales rudimentaires.

Les sciences considèrent habituellement que la conscience dans des manifestations comme l’intelligence ou le comportement est déterminée génétiquement. En anthroposophie nous considérons que les particularités génétiques plus ou moins complexes ne sont que la manifestation au niveau de la substance des conditions  nécessaires à la réalisation d’un certain comportement dans le monde matériel.

Une des différences entre les animaux et les plantes concerne le métabolisme gazeux. Contrairement à la plante, l’animal consomme de l’oxygène et produit du dioxyde de carbone avec comme conséquence un processus d'intériorisation des organes (les poumons par exemple). Le monde animal intériorise l'air ce qui lui permet de s'animer. La structure invisible responsable de ces phénomènes est appelée logiquement corps animique, elle s'exprime via les échanges gazeux. Elle est responsable de la conformation du corps gazeux. Cette structure est douée d'une conscience capable de se manifester par de la douleur par exemple, ou par des pulsions, pas uniquement sexuelles. Elle est aussi responsable de la formation de cavités, d’excrétions, de phénomènes lytiques voire de la mort.

d)     Vers deux trois ans, un jeune être humain prononcera pour la première fois le mot “Je”, souvent même “Je veux”. Ceci suppose une perception de soi-même et une conscience de soi. Nous pouvons considérer que cette nouvelle entité, vue son apparition tardive,  n’est pas responsable des activités auto gérées de l’organisme, comme celles décrites plus haut,  comme par exemple  nos traits de personnalité, notre tempérament, ou notre mémoire. Cette structure est donc uniquement responsable, via l’outil volontaire, de la gestion de l'individu. Elle se manifeste dans nos actes, comme une sorte de trame de notre destinée. Notre volonté est la manifestation la plus directe de notre esprit, qui en tant que “Je” habite le corps.

La distinction homme-animal s'exprime  dans la biographie, mais aussi pour l'observateur subtil dans l'agencement du corps. L'être humain est par exemple le seul ‘animal’ qui se tienne totalement droit, ce qui non seulement rend ses mains libres mais lui permet également de se distancier du monde avec comme conséquence la possibilité de développer une conscience de soi.

Les structures de l'être humain sont moins spécialisées que les structures équivalentes de l'animal qui dès la naissance possède une spécificité très évoluée, l'araignée est par exemple capable de tisser une toile sophistiquée peu après sa naissance. Par contre cette immaturité permet à l'homme de garder un grand potentiel d’adaptation. Le “Je” humain a pour fonction d'inhiber les forces formatrices du corps de vie (végétal) et les pulsions du corps animique (animal) ce qui permet à l'esprit de travailler à son incarnation bien après la limite imposée à l'animal par la maturation sexuelle et de garder ainsi des capacités créatrices malgré un âge avancé.

 

La vision anthroposophique du monde se rapproche sur certains points des anciennes connaissances hippocratiques. Schématiquement les relations suivantes peuvent être établies:

Chaleur            Je                                Homme

Air                  Corps animé                  Animal

Eau                 Corps de vie                  Végétal

Terre               Corps physique              Minéral

Le “Je” vit dans la chaleur. Pas uniquement dans la chaleur physique, mais aussi dans cette forme de chaleur qui apparaît lorsque notre volonté s’active ou lorsque l'enthousiasme nous envahit. La chaleur est le seul élément capable de pénétrer tous les autres. Elle est l'intermédiaire entre les phénomènes visibles du monde physique et le monde invisible des processus dynamiques et qualitatifs.

La chaleur permet au “Je” de pénétrer et de gérer le corps animique via des modifications induites au niveau du métabolisme gazeux. De manière similaire le “Je” et le corps animique agissant de concert, via des interactions avec les structures thermiques et le métabolisme gazeux, peuvent modifier le métabolisme de l'eau, support du corps de vie.  Je, corps amimique et corps de vie agissant simultanément sont responsables du maintien et du renouvellement de la structure minérale du corps, notre corps de terre.

La santé et la maladie dépendent donc de l'équilibre ou du déséquilibre entre ces différents corps. L'étude précise des phénomènes que présente le malade au niveau de son corps physique permet de déduire la nature du déséquilibre et donc d'envisager une thérapeutique. Le médecin se base pour le diagnostic et le traitement, sur les symptômes généraux mais aussi sur les symptômes en relation avec chaque organe particulier.

 

2. La tripartition de l'organisme humain

Rudolf Steiner comprenait comme “homme ternaire” une structure fonctionnelle de l'être humain correspondant à deux pôles de structure opposés, équilibrés par une organisation médiane. Cette structure ternaire n'est pas une segmentation anatomique.

D'un côté, un pôle, dit cérébral ou sensoriel, caractérisé par des os non soumis aux mouvements, des os plats (donc des segments de sphère), des organes sensoriels, des formes sphériques, une température basse, un processus de mort, des processsus cataboliques etc., cet ensemble de processus s’oppose à un pôle, dit métabolique, caractérisé par des os soumis aux mouvements, des os longs, une exclusion du monde extérieur, une température haute, des formes irradiantes, des processus de régénération, des processus anaboliques…

Exprimé autrement, par les organes sensoriels le monde extérieur nous pénètre, par nos membres nous agissons dans ce monde. Par notre mémoire nous vivons dans le passé, par nos actes nous créons l'avenir.  Il est possible d'établir une longue liste d'oppositions de ce type. Entre ces deux pôles, une troisième organisation agit en tant que facteur d'équilibre. Cet équilibre est assuré par l'introduction de rythmes, en particulier (mais pas uniquement), les rythmes thoraciques, cardiaques et pulmonaires.  Le concept d'une troisième organisation, le système rythmique, au sein d'une polarité et dont le point d'action principal est central, différencie l'enseignement européen de l'enseignement asiatique traditionnel.

L'essentiel dans ce concept est de comprendre qu'au sein de cette tripartition fonctionnelle, les quatre corps agissent de manière différentiée. Par exemple, qu'au sein d'une partie de la structure cérébrale, la substance s'est à ce point libérée des autres corps qu'elle ne se manifeste que comme une substance quasi minérale, quasi morte. Les trois corps supérieurs se sont distanciés, n'agissent plus que faiblement dans la substance, ce qui permet au cerveau de jouer son rôle de ‘miroir’. Les activités des trois corps s’expriment à ce niveau sous forme de conscience générale et de conscience de soi.

Par contre au niveau de structures métaboliques, les trois corps pénètrent à tel point la substance, qu'une distanciation est impossible, l'activité ne peut être perçue, toute l'activité passe alors sous le niveau de la conscience.

Dans la conception steinerienne, la substance ne produit pas la conscience. La conscience est produite par les interactions entre l'esprit et la matière. Les relations avec la matière, donc avec les différentes régions du corps, sont non seulement très différenciées mais sont aussi en équilibre dynamique. Cette vision du monde diffère de la vision des sciences conventionnelles.

La santé et la maladie dépendent  de l'équilibre ou du déséquilibre entre ces deux pôles.  Le premier est responsable de la dégradation des substances, le second de l'élaboration des substances. Les maladies inflammatoires, la plupart des maladies infantiles par exemple, témoignent de l'excès du pôle dit métabolique. Les maladies sclérosantes, comme l'arthrose, signent un excès du pôle opposé.   Ce genre de pathologie est plus fréquent chez les personnes âgées.

 

Diagnostic et thérapeutique

Il faut souligner que la médecine anthroposophique ne se perçoit pas comme une médecine “alternative” mais comme une médecine complémentaire qui ouvre d’autres possibilités thérapeutiques ou diagnostiques à la médecine habituelle.

D’un point de vue organisationnel la médecine anthroposophique peut être exercée à tous les niveaux, en médecine générale de manière ambulatoire ou par un spécialiste dans un contexte hospitalier. La médecine anthroposophique ne peut être pratiquée que par des médecins, et les paramédicaux n’exercent que sous prescription médicale ou sous la supervision d'un médecin. L’Allemagne compte 12 hôpitaux reconnus, deux sont d’ailleurs des centres hospitaliers régionaux (de 300 et 500 lits).  L’hôpital d’Herdecke, dans la Ruhr, est d’ailleurs l’hôpital de l’université de Witten-Herdecke.

En complément des techniques ou thérapeutiques utilisées en médecine habituelle, nous utilisons également:

1. Des médicaments minéraux, phytothérapeutiques ou homéopathiques. Suivant la conception anthroposophique ces traitements agissent sur les corps dits supérieurs  (voir l’homme quaternaire) et sur les processus vitaux de l’organisme. Certains produits sont spécifiques car issus de nos propres recherches. Ils sont néanmoins prescrits dans plusieurs pays par des médecins non anthroposophes.

2. Le massage rythmique est une forme spécifique de massage qui agit de manière holistique.

3. Les thérapies artistiques. Les principales étant la peinture, le modelage, la musique, l’eurythmie, et l’art de la parole. Ces traitements existent depuis les années vingt du siècle dernier. Suivant la technique utilisée elles se différencient plus ou moins des pratiques existantes par leur base théorique spécifique.

4. La psychothérapie et l’accompagnement biographique

5. Enfin tout médecin anthroposophe est libre de prescrire les traitements qu’il juge nécessaire à son patient (allopathique, non allopathique etc.), dans la mesure où ce traitement se justifie sur le plan de l'éthique individuelle.

Quelques exemples de maladies

La migraine classique est comprise comme une flambée du pôle métabolique dans le pôle cérébral, avec perturbation supplémentaire de l'équilibre au niveau de l'organisme ternaire. Le corps vital manifeste une activité excessive, qui ne peut être contrôlée par le corps animique affaibli par, le plus souvent, des stimulations sensorielles excessives. L'organisation du Je, momentanément inadéquate est inapte à maintenir l'ensemble en équilibre.

Le but du traitement est de rétablir en premier lieu l'organisation du Je et de lui permettre de reprendre contrôle de la structure ternaire. Cette organisation étant particulièrement réceptive aux substances minérales, un composé de quartz, de fer et de soufre est initialement prescrit. Ceux-ci agissent respectivement sur cette organisation dans ses activités fonctionnelles (donc non anatomiques) cérébrales, métaboliques et rythmiques. La seconde partie du traitement consiste à rechercher l'organe perturbé (foie, rein etc.) et de prescrire le traitement adéquat associé éventuellement à un régime ou à une correction des rythmes vitaux (jour/nuit ; travail/repos etc.).  Enfin, les thérapies artistiques trouvent leur place car elles permettent au patient, via une activité volontaire propre, d’agir sur son corps et sur sa vie.

L'hypotension est souvent le résultat d'une pénétration insuffisante du corps animique dans la zone rénale. Un traitement à base d'ortie et de fer fait habituellement disparaître les symptômes sans modifier nécessairement les valeurs tensionnelles.

Le médicament est fabriqué de la manière suivante. Des orties sont initialement cultivées avec adjonction d’une solution de sel de fer.  Les plantes sont ensuite récoltées et compostées. Le compost est utilisé l’année suivante pour la nouvelle culture d’orties.  Cette méthode est appliquée trois années consécutives.  Les plantes de la troisième année sont finalement utilisées pour la fabrication du médicament suivant les techniques homéopathiques habituelles.  L’avantage de cette nouvelle méthode par rapport à l’homéopathie classique est l’amélioration de la qualité du produit final par adjonction d’une étape de dynamisation végétale de la substance.  Des informations exhaustives pratiques et théoriques sur la méthode peuvent êtres consultées dans les ouvrages de pharmacologie anthroposophique.

 

L’avenir de la médecine

Pour des raisons historiques, par un choix délibéré de ne s’intéresser qu’au corps physique, la médecine habituelle est troublée face à une conception spirituelle de la structure humaine. La culture ambiante est d’ailleurs elle aussi focalisée sur la consommation et l’assouvissement exclusif des besoins physiques de l’homme. Un faisceau de forces, politiques, financières, et un respect, pas toujours conscient, pour la technocratie renforcent ce processus.  Il serait intéressant d'ailleurs pour un chercheur d’étudier les difficultés conceptuelles des autorités confrontées au développement des médecines complémentaires.

La cause principale du problème réside dans un choix délibéré des  leaders d’opinion en sciences, et ceci depuis les quatre ou cinq derniers siècles, de privilégier une philosophie matérialiste réductionniste au détriment de toutes les autres conceptions philosophiques, en particulier de refuser l’idée qu’un homme est un esprit  et que sa destinée terrestre est sensée.

Il existe bien entendu des centres (catholiques, humanistes…) dont l’idéologie semble différente.  Mais ces différentes conceptions, même lorsqu’elles disposent d’université, n’osent pas mettre en doute le paradigme selon lequel la substance produit l’esprit.

Seule une réflexion nouvelle sur l’être humain en tant qu’individu peut redonner à l’homme sa noblesse. L’organisation et la pratique de la médecine en seront aussi améliorées. La pensée de Rudolf Steiner est une étape dans cette direction.

 

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"Les instruments employés dans ces recherches sont la méthode phénoménologique de Goethe et un entraînement de la pensée."